L'œuvre architecturale de Le Corbusier,
une contribution exceptionnelle
au mouvement moderne

Allemagne

Influence de l’Œuvre architecturale de Le Corbusier au sein des États-parties du Bien

L’influence de l’Œuvre architecturale de Le Corbusier dans le monde est incomparable, non seulement dans les onze pays où il a construit, mais également dans les pays où il a projeté et dans le monde entier, notamment grâce à l’impact de ses publications et de ses conférences. Il serait vain de vouloir en dresser un tableau exhaustif. Nous nous limiterons ici à rappeler l’influence que cette œuvre a eue dans les États- parties qui participent à cette proposition d’inscription.

Toutefois il est possible d’affirmer que l’influence de son œuvre est sensible dans l’architecture ordinaire de la deuxième moitié du XXe siècle, la manière de bâtir, l’évolution du métier d’architecte et son internationalisation.

Allemagne

L’œuvre de Le Corbusier est étroitement liée au mouvement du Neues Bauen, nouvel art de construire, émergeant en Allemagne à partir de 1900, et au développement du Mouvement Moderne après la Seconde Guerre mondiale. Dans le premier tiers du XXe siècle surtout, on relève une interaction puissante et féconde entre Le Corbusier et les mouvances modernes en Allemagne, interaction toutefois également nourrie d’antagonismes et de césures radicales.

Avant la Première Guerre mondiale déjà, Le Corbusier puise dans ses séjours en Allemagne une riche source d’inspiration. Inversement, son œuvre écrite et bâtie est, depuis les années 1920, connue en Allemagne et constitue l’objet de vives discussions où se mêlent tant l’admiration que le rejet et dont l’écho nous parvient jusqu’à aujourd’hui. Ainsi, elles ont été récemment documentées lors d’expositions importantes, fréquentées par un public nombreux, sur l’ensemble de son œuvre architecturale et artistique à Weil am Rhein (2007) et Berlin (2009) [1].

Bien avant de s’appeler Le Corbusier, Charles-Édouard Jeanneret se penche intensément sur le Mouvement Moderne naissant en Allemagne et en Autriche. D’avril 1910 à avril 191, durant un séjour prolongé en Allemagne, il se rend dans différentes villes pour faire la connaissance du Deutscher Werkbund fondé en 1907 et devenu rapidement le moteur du renouveau culturel. Jeanneret rencontre nombre des représentants du Deutscher Werkbund, dont Peter Behrens, Heinrich Tessenow et Karl Ernst Osthaus. À Berlin, il travaille pendant plusieurs mois dans l’atelier de Peter Behrens qui peu de temps auparavant avait également accueilli Walter Gropius et Ludwig Mies van der Rohe.

L’importance de Le Corbusier pour le Mouvement Moderne en Allemagne se manifeste avant tout dans sa participation aux deux plus grandes expositions internationales d’architecture : l’exposition du Werkbund en 1927 à Stuttgart et celle de l’Interbau en 1957 à Berlin.

C’est un Mouvement Moderne et sûr de lui qui se présente en 1927 au Weissenhof à Stuttgart. À sa tête, des architectes allemands pour la plupart membres du « Ring » fondé par Ludwig Mies van der Rohe, groupement d’architectes autour du Neues Bauen. Ouvert aux influences de l’étranger, le Deutscher Werkbund invite également à son exposition de Stuttgart les représentants les plus importants du Mouvement Moderne en Europe, avec qui il entretient des relations étroites.

Le Corbusier constitue à cette époque une figure indépendante de l’architecture et un théoricien influent dans les cercles du Mouvement Moderne en Allemagne. En 1923, il a participé à la grande exposition du Bauhaus à Weimar. En 1926, son premier recueil cri- tique, Vers une architecture, a été traduit et publié à Stuttgart sous le titre Kommende Baukunst, suscitant un vif intérêt au sein du Mouvement. En tant que directeur artistique de l’exposition du Werkbund à Stuttgart en 1927, Mies van der Rohe impose, contre toute résistance, la participation de Le Corbusier, considérant que ce grand événement de l’architecture moderne ne saurait, aux côtés des nouvelles tendances allemandes, se passer d’un « esprit français ». L’atmosphère de renouveau créée à Stuttgart offre un terrain favorable à la fondation des CIAM en 1928 à La Sarraz. Le deuxième congrès programmatique a lieu dès 1929 à Francfort.

Avec la montée du National-socialisme, les expériences modernes sont soumises à une répression croissante. Dès 1925, le Bauhaus doit quitter Weimar suite à des attaques nationalistes et s’installer à Dessau. La Grande dépression de 1929 s’accompagne quant à elle d’une paralysie presque totale de l’industrie du bâtiment. Bien que la nouvelle architecture qualifiée depuis 1932 de « style international » soit en grande partie l’œuvre d’architectes allemands, elle disparaît pratiquement de l’Allemagne elle-même, étant tout au plus reléguée jusqu’en 1945 dans certains créneaux de l’économie de guerre.

De fait, la situation est en 1957 tout autre qu’en 1927. 1957, année de l’Interbau qui se tient à Berlin-Ouest, marque la tentative de l’Allemagne de renouer avec la scène architecturale internationale par le biais d’une vision nouvelle, résolument opposée au style de reconstruction empreint de classicisme tout d’abord mis en œuvre à Berlin-Est. Dans le cadre de cette exposition internationale, le Hansaviertel, ancien quartier bourgeois de Berlin-Ouest détruit pendant la guerre, avec à l’origine une typologie d’habitat en rang d’îlot, est entièrement reconstruit selon des principes architecturaux modernes. Bien entendu, Le Corbusier est invité à participer à l’exposition. Cette dernière lui donnera l’occasion de construire à Berlin la seule Unité d’habitation qui ait jamais vu le jour hors de France. À quelques pas du Stade olympique de Berlin où se tinrent les Jeux de 1936, le site constitue une manifestation résolument moderniste face au monumentalisme ostentatoire de l’architecture nazie.

La reconstruction de Berlin et le développement de l’architecture dans toutes les villes ouest-allemandes après la guerre sont l’expression évidente des thèses formulées dans la Charte d’Athènes. Cette charte que rédige Le Corbusier dans la France occupée en 1943, dix ans après la IVe édition des CIAM, n’est cependant traduite et publiée pour la première fois en Allemagne qu’en 1962, c’est-à-dire à un moment où les décisions relatives à la reconstruction ont depuis longtemps été prises et où elles font déjà l’objet de premières critiques [2]. C’est donc, plus que la charte elle-même, le programme dont elle est porteuse et qui depuis les années 1920 a marqué les conceptions urbanistiques et les CIAM tenus avant la Seconde Guerre mondiale, qui trouve sa réalisation dans l’Allemagne d’après-guerre.

Dans la zone française d’Occupation en particulier, les premiers plans de reconstruction pour les villes de Sarrebruck, Saarlouis et Mayence constituent une transposition fidèle des thèses de la « ville fonctionnelle » formulées dans la Charte d’Athènes. À Mayence, l’occupant français fait, sous la direction de Marcel Lods, établir une planification conforme au plan de reconstruction de Le Corbusier pour Saint-Dié. Les Allemands lui opposent un plan traditionaliste de Paul Schmitthenner, détracteur de Le Corbusier lors de la conception de la Cité du Weissenhof en 1927. [3]

Le concept de « grande unité d’habitation » tel qu’exposé par Le Corbusier dans La Ville radieuse et réalisé dans l’Unité d’habitation, s’est imposé en Allemagne de l’Ouest – et dans un contexte modifié également en Allemagne de l’Est – en tant que caractéristique marquante de l’urbanisme moderne. Les aspects sociaux de l’idée corbuséenne d’une « ville verticale » ne furent toutefois pas retenus. Voilà pourquoi la construction de logements de masse d’après-guerre se transforma rapidement en symbole de l’anonymat et de l’inhospitalité propres à la modernité.

Aujourd’hui, la réception de l’œuvre de Le Corbusier en Allemagne et en Europe s’attache de plus en plus à mettre au premier plan l’idée charnière de « synthèse des arts » qui se manifeste dans la corrélation entre de nombreuses disciplines dont l’architecture, l’urbanisme, la peinture et le design. Le caractère global, universel de l’œuvre de Le Corbusier et de son approche artistique, modernes tant dans leur forme d’expression que dans les médias utilisés, a trouvé reconnaissance.

[1] “Le Corbusier – The Art of Archi- tecture”, 29.9.2007 – 10.2.2008, Vitra Design Museum, Weil am Rhein; Le Corbusier – “Kunst und Architektur”, 9.7. – 5.10.2009, Berlin, Catalogue Mateo Kries, Stanislaus von Moos, Arthur Rüegg, parmi d’autres, Berlin 2007.
[2] Cf. Harald Bodenschatz: “Charta von Athen: Fragen an eine Le- gende“. In: Die Alte Stadt 2/2004
[3] Cf. Werner Durth, Paul Sigel, Baukultur, Berlin 2009
Allemagne Le Corbusier et Ludwig Mies van der Rohe (1886-1969)
Allemagne Unité d’habitation de Berlin, 2014, ph. B. Gandini
Allemagne Zwei Wohnhaüser, couverture de la publication d’Alfred Roth consacrée en 1927 au maison de Le Corbusier et Pierre Jeanneret à Stuttgart, où pour la première fois sont énoncés les Cinq points pour une architecture nouvelle.